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Contrôleurs

J'ai acheté mon premier appareil photo numérique en 2002 et j'ai commencé à mitrailler tout ce qui passait. Je l'avais toujours sur moi...

Au fil de mes voyages en train, pendant deux ans, j'ai fait des clichés de mes contrôleurs. J'ai établi une collection d'un peu plus de cent photos, et j'ai choisi les quinze plus parlantes pour exposer ici.

 

 



14 novembre 2004

 

Mon appareil photos a atteint l’âge de la retraite, sa batterie dépérit à vue d’œil, mon téléphone fait des photos de qualité médiocre, et je dois bien avouer que moi-même, je ne prends plus tellement plaisir à me livrer à cette activité juvénile. Je suis à cette heure possesseur de cent deux photos de contrôleurs de trains, et je viens d’abandonner mon activité de paparazzi. J’étais doté d’une technique rodée et imparable : le contrôleur, sans s’en apercevoir, finissait toujours sur la plaque photosensible de mon appareil photos, ou disons sur le capteur numérique. Jamais un seul, je crois, n’a repéré mon manège. Parfois mon voisin, quand je préparais mon arme, ou la rangeais, me jetait un coup d’œil interrogatif, mais c’est tout.

Aujourd’hui ça ne m’amuse plus. Je ne ressens plus l’empressement quand j’entends “Messieurs Dames bonsoir, contrôle des billets s’il vous plaît !”, je ne me dépêche plus de préparer mon attirail, de suivre rigoureusement les étapes, ouvrir le sac, sortir la chaussette, en extraire l’appareil photos, l’allumer en retirant le cache, désactiver le flash, cacher la chaussette, préparer dans une main mon billet de train et ma carte 12-25, dans l’autre, posée sur la cuisse côté fenêtre, l’appareil, diriger l’objectif, attendre et sourire pour qu’on ne se doute de rien.
Puis mitrailler.
Enfin refermer l’appareil, le ranger dans sa chaussette, ranger la chaussette dans le sac, refermer le sac, reprendre ma lecture.

Le contrôleur est passé, avec une barbe courte grisonnante. Un air d’instituteur la veille de son départ en retraite. Des yeux ridés, lèvres fines, lunettes pendantes devant le torse, attachées par une ficelle bleu nuit, assortie à l’accoutrement vestimentaire imposé par la compagnie. Le prototype même du contrôleur de train. Tellement peu original qu’il valait bien une photo. Mais flemme. Plus de motivation. Ma collection s’achève sur la photo du contrôleur Londres - Gatwick du 10 juillet.

Je m’imaginais, il y a encore peu de temps, à la tête un jour d’un étalage de mille, deux mille, portraits de contrôleurs de trains français, anglais, marocains, allemands, tunisiens, que sais-je encore. J’imaginais la collection la plus grande (et la plus inutile) de clichés de contrôleurs, je me voyais à la recherche de l’appareil photos toujours plus petit, toujours plus discret, toujours plus maniable, je m’imaginais développeur de techniques toujours plus pointues pour rester inaperçu, je me représentais trente ans plus tard, devenu homme moderne, déguisé en homme moderne, sérieux, distingué, mais toujours sniper. Toujours en quête d’un visage qui demande billet s’il vous plaît, d’une main tendant une carte de réduction vers un homme bleu examinateur, d’un physique penché au-dessus d’un sac pour rendre un billet de train.

Cent deux, c’est le nombre définitif des clichés qui démontrent mon appartenance au voyage de Nantes à Lyon le 14 mars 2002, de Saint-Brieuc à Paris le 30 juillet, de Marrakech à Casablanca le 24 avril de l’année suivante, ou de n’importe quel autre de mes voyages ferroviaires des deux dernières années.

Ce texte peut sembler empreint de nostalgie et ressemble à un adieu, rempli de regrets. Il n’en est rien. Il démontre avant tout la quantité d’ennui dont me remplit cet interminable voyage, et il n’est qu’un moyen de pallier cette lassitude. L’intérêt dont il est tant dépourvu montre que je n’ai vraiment rien d’autre à faire que de raconter des choses totalement inutiles à un écran qui ne comprend même pas ce que je veux lui dire.

Pour dire vrai, j’ai faim, je suis un peu fatigué, et j’ai surtout très soif, et en plus, ça sent le shampooing de manière si forte juste derrière moi que c’en est remuant pour mon pauvre estomac. La si jolie demoiselle qui s’était installée en face de moi s’est faite éconduire par une vieille dame équipée de lunettes léopard hideuse et d’une très fine couche de cheveux blancs et courts. C’est un scandale.

Ceci dit, comme on va pas tarder à arriver à Paris, continuer ces lignes n’a plus d’intérêt, je vais donc me taire.