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Sullivan

25 juin 2002

 

« L’amour n’a jamais été regardant quant à ses premiers aliments. Les premières conversations de l’amour tiennent des petits pots de bébé. Peu importent les ingrédients, c’est d’autre chose qu’on parle. L’amour défie les lois de la diététique, il se nourrit de tout et un rien le nourrit. On a vu d’authentiques passions naître de conversations si pauvres en protéines qu’elles tenaient à peine sur leurs jambes. »

Daniel Pennac, Monsieur Mallaussène


Mercredi 5 juin, 1 h

- C’est un pied !
James Sullivan était en face de nous, immobile, un peu courbé en avant et la main sur sa hanche.
- Un quoi ?
Malgré la nuit, on l’apercevait distinctement. Les contours de son corps se détachaient nettement du gros nuage qui reflétait les lumières citadines. Il semblait bien pensif. La rivière nous séparait de lui, il était trop loin pour nous entendre. Seul le banc de bois qui nous avait accueilli nous écoutait depuis une heure, sans rien dire.
Le froid avait laissé la nuit s’installer avant de percer à son tour. Comme il nous ceinturait de plus en plus, on s’était un peu resserrés.
Elle n’avait rien à dire, moi non plus, alors en regardant l’eau passer devant nous on se racontait n’importe quoi, puis on se taisait.
Canard.
Lapin.
Loutre. Ou ragondin ? … Nessie ?
Les silhouettes disparaissaient furtivement à chaque reprise de la conversation. Qui passait en revue nos vies respectives, notre enfance et notre scolarité.

- Il fait froid, non ?
Je me sers encore contre elle et j’enroule clandestinement mon bras autour de ses épaules.
Silence.
Seule la nature s’exprime.
Paysage immobile, la lune dort au fond de l’eau.
Clapotis devant, craquements derrière. Sifflements.
Effluves mélangées de moissons, d’herbe et d’algues.
Fraîche humidité sur la peau.
Il ne manque qu’un sens à cette promenade.

- C’était quoi ce bruit ? Ah, ça fait peur !
Je me blottis contre elle pour la défendre du monstre marin.
Et James, au loin, ne bougeait pas.

- C’est rigolo, les arbres derrière la rivière, ça fait des formes.

C’était effectivement un effet de contre-jour qui avait fait naître Sullivan, le monstre du dernier Disney. Il se dégageait d’un arbre très haut, avec une boule qui ressortait au-dessus, un peu sur la gauche, pour dessiner la tête, suivie du bras qui longeait tout le dos et terminé par quatre doigts légèrement écartés juste au niveau du bassin.

- Regarde celui-là, on dirait Sullivan de Monstres et Cie.
- Lequel ?
- Le grand, là-bas, le plus grand des deux.
- Mais non ! C’est pas ça du tout !
- Ah ? Tu vois quoi, toi ?
- C’est un pied !
Un pied ? James lui-même en fut parcouru par un grand frisson, il frétilla de la tête aux pieds.
Non, il était là, c’était bien lui, majestueux, calme, intelligent, à la recherche d’une inspiration, d’une tactique de frousse, d’un renseignement oublié, que sais-je ?
Un pied ! C’était impossible ! J’avais peut-être mal compris…
- Un quoi ?
Et là, distinguant dans la pénombre qu’elle allait répéter ce que je n’avais pas voulu entendre, j’ai entendu ma morale qui me suppliait de l’en empêcher. Alors je me suis approché doucement et, pour l’interdire de blasphémer une seconde fois, j’ai posé mes lèvres sur sa bouche.

Le cinquième sens.

 

(un pied ! non mais !)